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Des Açores à la Nouvelle Calédonie, un demi Tour du Monde de Mesures avec un Profileur Acoustique à Effet Doppler

Publié le lundi 1er janvier 1996.


Remerciements

La coordination de plusieurs organismes et la participation de nombreuses personalités ont concouru à la réussite de cette opération, depuis la décision d’achat du profileur acoustique, la conception et la réalisation de son installation, jusqu’à l’acquisition des données et leur traitement.

Ce sont les recommendations positives du Programme National d’Etude de la Dynamique du Climat, suite à une demande émanant du Groupe SURTROPAC de l’ORSTOM qui ont permis le financement de cette opération. Jean-René Donguy et Bertrand Campillo, de l’ORSTOM, ont réussi à obtenir les crédits exceptionnels nécessaires à la commande de l’appareil. Les équipes techniques de GENAVIR, en particulier M. Jean-Claude Cavarec, ont déterminé les travaux à réaliser pour l’installation du profileur sur LE NOROIT, et ont pu les faire mener à bien, malgré des délais très courts. Au cours de la traversée de l’Atlantique, Michel Jannez, officier électronicien, a largement participé à la mise au point du profileur et de son interfaçage avec les instruments de navigation. Lee Gordon et Daryl Symonds, de RDI, Inc., ont contribué (et contribuent toujours) par leur judicieux conseils à la solution de divers problèmes techniques. En organisant la campagne ALIZE 2, Gilles Reverdin (CNRS) nous a donné l’occasion de recueillir un jeu de données unique sur l’ensemble du Pacifique équatorial. Alain Morlière et Jacques Grelet (ORSTOM) ont assuré l’acquisition et le pré-traitement des données durant la deuxième partie de cette campagne. Sans l’aide de Eric Firing et de son équipe (Université d’Hawaii) ce travail n’aurait tout simplement pas pu être accompli. Ils ont non seulement fourni gracieusement le logiciel de traitement des données, fruit de nombreuses années de réflexion et d’expérience, mais ont toujours répondu immédiatement à nos nombreuses demandes d’assistance.

Les officiers et membres d’équipage du navire océanographique LE NOROIT doivent enfin être chaleureusement remerciés pour leur concours actif durant toute la traversée de Brest à Nouméa.

Résumé

Ce rapport présente les résultats des mesures au profileur de courant acoustique à effet Doppler (ADCP) effectuées au cours de la traversée Brest-Nouméa du navire océanographique LE NOROIT de décembre 1990 à mars 1991. Les données ont été recueillies durant le transit Atlantique, des Açores à Panama, et pendant la campagne ALIZE 2 le long de l’équateur dans le Pacifique. Le principe de fonctionnement de l’ADCP est rappelé brièvement, et l’installation d’un modèle RDVM-150 fabriqué par RD Instruments sur LE NOROIT est décrite. Les méthodes d’acquisition et de traitement des données sont détaillés. Les résultats sont exposés sous forme de coupes verticales des composantes zonale et méridienne des courants, pour chaque partie de la traversée.

Abstract

"From Azores to New Caledonia,

Acoustic Doppler Current Profiling halfway around the World."

This report presents results of Acoustic Doppler Current Profiler (ADCP) measurements gathered during a voyage of R/V LE NOROIT from Brest, France to Nouméa, New Caledonia. Continuous velocity profiles where obtained during the Atlantic crossing from Azores Islands to Panama in December 1990, and during the ALIZE 2 cruise from Panama to Nouméa in January-March 1991.

The introduction recalls that R/V LE NOROIT was the first French research vessel equipped with an ADCP. Funding for that operation was provided by ORSTOM, following recommendations from the National Programme for Climate Dynamics Study.

Section 2 briefly presents basics of ADCP theory and use (Figure 1).

Section 3 details installation of a RD Instruments RDVM-150 ADCP (Figure 2) on R/V LE NOROIT. The transducer was placed at the base of a well through the ship’s hull (4m below flotation), and can be accessed in port from inside a pressurized chamber. A polypropylene acoustic window closes the well (Figure 3). A fairing protects the transducer from debris and improves the flow around it (Figure 4).

Section 4 gives values of the Data Acquisition Software (DAS) parameters that were used during most of the cruise : pulse and bin length were 8m, blanking interval 4m, ensemble averaging 5mn (about 350pings/ensemble). Figure 5 shows the ship track along which data was obtained. Corresponding dates and positions are given in Table 1.

Section 5 presents data processing. The Common Oceanographic Data Access System, version 3 (CODAS3) database and processing software was kindly provided by Eric Firing. Figures 6 to 9 show samples of successive steps of that processing. Details can be found in Bahr and Firing (1989, 1990). Only 1.3% of the 19200 shear profiles were rejected through statistical tests. Taking the 30% good pings per ensemble level as lower limit, ADCP range was 250-300m. The acoustic window was suspected to impose a somewhat higher damping to echos than expected, causing that relatively short range. Calibration was performed following the method of Pollard and Reed (1989), for all 113 stations of the ALIZE 2 cruise. Amplitude coefficients and phases are given in Table 2. GPS navigation was used to obtain absolute current velocities, through computation of absolute velocity of a reference layer and its smoothing with a 2-hour wide Blackman window.

Results are shown as zonal (U) and meridional (V) velocity sections corresponding to every segment of the ship track described in Table 1. For contouring, data was averaged and interpolated onto a 0.25° by 10m grid. Contour interval is 10 cms-1, and negative values (westward U and southward V) are shaded.

Introduction

Le programme TOGA (Tropical Ocean and Global Atmosphere) a parmi ses objectifs principaux la compréhension des causes qui influencent les variations saisonnières et interannuelles du climat de la Terre, en particulier celles associées aux évènements ENSO (El Niño/Southern Oscillation). Les observations et la théorie (Hénin et Donguy, 1978 ; Busalacchi et O’Brien, 1981 ; White et al., 1985 ; Wyrtki, 1985, Cane et al., 1987 ; McPhaden et Picaut, 1990) suggèrent que le développement de ces anomalies climatiques est lié à une redistribution du contenu thermique des couches superficielles du Pacifique tropical, par le biais des variations de transport du système des courants équatoriaux. Une connaissance approfondie de la circulation océanique dans le Pacifique tropical est donc indispensable.

Dans cette perspective, l’utilisation du profileur de courant acoustique à effet Doppler (Acoustic Doppler Current Profiler, ADCP) qui permet l’obtention de profils de courants de la surface à 300m de profondeur, à partir d’un navire en route, amène un progrés considérable. C’est pourquoi, à l’initiative du Groupe SURTROPAC du Centre ORSTOM de Nouméa, et sur recommendation du Programme National d’Etude de la Dynamique du Climat (PNEDC), l’ORSTOM à fait équiper le N.O. LE NOROIT d’un profileur de ce type à la fin de 1990. La traversée de l’Atlantique et la campagne ALIZE 2 de Panama à Nouméa le long de l’Equateur au premier trimestre 1991 ont fourni l’occasion appropriée à la première utilisation de cet appareil à bord d’un N.O. français.

Le but de ce rapport est la présentation des résultats des mesures de courants effectuées au cours de ces traversées. Après un rappel succint du principe de fonctionnement de l’ADCP, les détails de l’installation sur LE NOROIT sont exposés. Les chapitres suivants décrivent les conditions d’acquisition des données et leur traitement ultèrieur. Les résultats sont présentés sous formes de coupes verticales.

Principe du profileur acoustique à effet Doppler

Le fonctionnement de cet appareil repose sur le principe de l’effet Doppler : des ondes réfléchies par une cible en mouvement subissent une variation de leur fréquence. Cette variation est proportionnelle au rapport entre la composante de ce mouvement parallèle à la direction de propagation et la vitesse de phase de l’onde (Figure 1a).

L’ADCP dispose de quatre têtes émettant quatre faisceaux à 30° de la verticale et opposés deux à deux (configuration "Janus"). Les quatre faisceaux permettent d’obtenir deux composantes horizontales orthogonales de vitesse, et deux estimations de la vitesse verticale (une pour chaque paire de faisceaux, Figure 1a). Les impulsions acoustiques sont réfléchies avec une modification de leur fréquence par les particules en mouvement passif dans l’eau (essentiellement le plancton), et les signaux reçus sont échantillonnés dans le temps ; la mesure obtenue est une moyenne pondérée des vitesses des réflecteurs pendant chaque intervalle de temps successif (Figure 1b). Bien que la vitesse du son varie avec la densité du milieu le long des trajets acoustiques, la conservation de la composante horizontale du nombre d’onde permet de déterminer les vitesses horizontales à partir de la connaissance de la vitesse du son au niveau du transducteur seulement (Figure 1c). La différence entre les deux estimations de vitesse verticale, en théorie égales, est une indication de qualité de la mesure ; une forte valeur peut être due soit à une inhomogénéité du milieu, soit à un déséquilibre dans le traitement du signal de chaque faisceau. La configuration Janus corrige l’influence du roulis et du tangage du navire : les deux faiceaux opposés d’une même paire compensent au premier ordre cette influence. L’orientation de l’appareil donnée par le compas ou gyrocompas du navire permet d’obtenir les vitesses relatives en coordonnées géographiques ; l’addition du mouvement propre de l’ADCP (donc du navire) aux vitesses relatives conduit à la détermination des vitesses absolues de courant. Par petits fonds, l’ADCP peut fonctionner en mode de "bottom tracking" : une impulsion plus longue intercalée entre chaque ping est réfléchie par le fond et donne directement la vitesse absolue du bateau, sans utiliser d’aides à la navigation. La théorie et des informations pratiques sur le fonctionnement du profileur sont données dans Kosro (1985) et RDI (1989).

Les mesures effectuées comportent une erreur aléatoire, généralement faible, et des erreurs systématiques, plus importantes. La principale cause d’erreur systématique est l’erreur sur l’orientation du transducteur (provenant soit de l’installation de l’appareil, soit des indications fournies par le gyrocompas). Elle se traduit par la projection d’une part inconnue de la vitesse du bateau sur les axes des faisceaux. Une erreur sur la détermination de l’effet Doppler (erreur de sensibilité), introduit aussi une incertitude sur les vitesses. L’estimation et la correction de ces erreurs sont discutées par la suite.

Installation sur LE NOROIT

Un profileur RDVM-150 de fréquence nominale 153kHz a été fourni par RD Instruments, Inc. (RDI) à San Diego, par l’intermédiaire de leur représentant en France, la société CEP. Ce matériel comprend le transducteur, son boitier de commande et le câble de liaison (Figure 2). Un micro-ordinateur COMPAQ Deskpro 286e assure l’acquisition des données au moyen d’un Bus GPIB. L’installation sur LE NOROIT a été effectuée lors du passage en cale sèche du navire en Novembre 1990 à Brest par les services techniques de GENAVIR.

Le transducteur est placé dans le "puits Martinais" du navire, à tribord et à 15m en arrière de la proue. Ce puits a éte modifié par adjonction de lèvres pour la fixation du transducteur ; celui-ci est fixé à la base du puits, à environ 4m sous la flottaison. Le puits est obturé par une fenêtre acoustique en polypropylène basse densité qui assure la protection des céramiques émettrices contre les salissures marines, et rempli d’eau douce pour éviter la corrosion (Figure 3). Un carénage effilé aux deux extrémités et muni d’un gousset (plaque métallique triangulaire) à l’avant permet de défléchir les éventuels objets flottants et améliore l’écoulement dans la couche limite autour du puits (Figure 4). Ce type de carénage a montré son efficacité sur d’autres installations (Leaman et al., 1989). Le transducteur est placé dans la configuration la plus largement utilisée, avec une paire de faisceaux parallèle à la quille et l’autre perpendiculaire.

Le profileur est interfacé au gyroscope du navire. Cette liaison est assurée par un convertisseur pas-à-pas/synchro fabriqué par GENAVIR, qui fournit au boitier de commande RDI le cap du navire sous forme de signal synchro 1/1 (1 tour pour 360° de variation), plus adapté que le signal pas-à-pas issu du gyroscope (Firing, 1988). Pour le calcul des vitesses absolues de courant, le micro-ordinateur d’acquisition est interfacé par liaison RS-232 au système de navigation intégré NALNO. Cette centrale transmet la position du navire qui peut être obtenue par divers moyens de positionnement. Pendant toute la durée des mesures présentées dans ce rapport, la couverture GPS a été très bonne (plus de 23h par jour), et seul ce moyen de navigation a été utilisé.

Il faut noter que l’ensemble de l’opération, mise à disposition du financement et achat du profileur, conception de l’installation et travaux sur le navire, a pu être réalisé en moins de cinq mois. Sa bonne exécution n’a été rendue possible que par une étroite coopération entre les différents centres ORSTOM (Nouméa, Paris, Brest), RDI, CEP et GENAVIR.

Les premiers essais à la mer ont eu lieu le 7 Décembre 1990 au large de Brest.

Acquisition des données

Méthode

L’acquisition des données est assurée par un logiciel fourni par RDI (DAS, Data Acquisition Software, version 2.48), mis en oeuvre sur le micro ordinateur. Les données sont enregistrées en continu sur disquettes. La mesure brute obtenue par le profileur est la vitesse (3 composantes) relative au navire de couches d’eau de quelques mètres d’épaisseur (bins), à l’aide d’impulsions acoustiques (pings) de quelques millisecondes. Pour chaque bin et ping, les composantes de vitesse sont calculées en coordonnées géographiques et moyennées par "ensembles" dans le temps. Cette moyenne dans le temps permet de réduire fortement l’erreur aléatoire présente dans les mesures de chaque ping. Outre ces composantes de vitesse, le DAS enregistre l’ "erreur de vitesse" (EV, différence des 2 estimations simultanées de vitesse verticale), l’intensité sonore des échos reçus (désignée ici par AGC, fonction inverse du controle automatique de gain à la reception des signaux), et le pourcentage de pings acceptables dans chaque ensemble (PGOOD, défini par un rapport signal/bruit supèrieur à 6dB). Un capteur de température est placé sur le transducteur, et une valeur approximative de la salinité est fournie par l’opérateur ; dans notre cas, le transducteur baignant dans l’eau douce, cette valeur est nulle. Ces 2 paramètres permettent le calcul de la vitesse du son au niveau du transducteur, qui suffit à la détermination de l’effet Doppler pour le profil entier (Figure 1c). A la fin de chaque ensemble, la position du navire donnée par la centrale NALNO est enregistrée dans le même fichier que les données fournies par le DAS, par l’intermédiaire d’un "programme utilisateur" résident procuré par Eric Firing (Université d’Hawaii).

Conditions des mesures

Au cours des essais et pendant les premiers jours de la traversée de l’Atlantique, différentes configurations du DAS ont été testées. Pour la campagne ALIZE 2, les longueurs des bins et pings ont été fixées à 8m, et la durée de chaque ensemble à 5mn, valeurs utilisées couramment pour l’acquisition dans les zones hauturières. Avec ces paramètres, l’erreur aléatoire sur chaque ensemble est infèrieure à 1 cms-1. Aprés l’émission de chaque ping, un temps de récupération est nécessaire au transducteur avant la réception des premiers échos ; le temps minimum conseillé par le constructeur et utilisé ici correspond à une distance de 4m au dessous du transducteur, lui même placé à 4m en dessous de la flotaison. Dans ces conditions, le premier bin est centré à 16m de profondeur. Le niveau des échos reçus diminue avec la distance au transducteur, ainsi que le pourcentage de pings acceptables par ensemble ; on considère que la portée maximale est atteinte lorsque ce PGOOD passe en dessous de 25 à 30%. Aux profondeurs où le PGOOD est entre 100% et 30%, les accélérations du navire pendant un ensemble peuvent introduire un cisaillement erroné dans le calcul de la moyenne d’ensemble ; ceci est limité par le calcul intermédiaire d’une couche de référence (RDI, 1990, Chap. 7-5). Dans ces conditions, la portée utile du profileur est de 250 à 300m, légèrement infèrieure à celle obtenue pour des installations similaires ; ce problème est discuté au Chapitre 5. Pendant la traversée Açores-Panama, la longueur de ping avait été fixée à 16m, dans le but d’améliorer cette portée par augmentation de l’énergie acoustique émise, au prix d’une définition verticale infèrieure. Cette solution n’ayant pas amené le résultat attendu, la valeur de 8m a été conservée par la suite.

La Figure 5 présente la route du navire à travers l’Atlantique et le Pacifique, au cours de laquelle des profils ont été enregistrés en continu. Les limites et dates des différentes parties de la traversée sont données en Tableau 1. Dans l’Atlantique l’acquisition a été fréquemment interrompue par des pannes dues vraisemblablement à des problèmes d’alimentation électrique. Après Panama, l’utilisation d’un onduleur et une mise à la masse soigneuse de tous les éléments de la chaîne d’acquisition ont permis d’arriver à un taux d’interruption de seulement quelques minutes par semaine.

Traitement des données et étalonnage

Généralités

Dans le cas présent, le traitement et la validation des données reposent sur un logiciel de base de données hiérarchique, CODAS3 (Common Oceanographic Data Access System, version 3), élaboré à l’Université d’Hawaii par Eric Firing et collaborateurs. Une partie des calculs et les sorties graphiques sont assurées par un logiciel commercial, MATLAB, fourni par The MathWorks, Inc. Ce traitement est généralement effectué sur PC-AT, mais peut l’être aussi sur de nombreux autres systèmes (UNIX, VAX, ...). Chaque utilisateur peut évidemment construire sa propre chaîne de traitement, mais les principes et la succession des opérations en seront sans doute similaires.

Les détails de cette procédure ont été publiés dans plusieurs rapports (par exemple, Bahr et al., 1989, 1990) ; on n’en rappellera ici que les grandes lignes. Les données acquises par le DAS et la position du navire pour chaque ensemble sont transférées et stockées sous format CODAS3 ; au passage, les éventuelles dérives de l’horloge du PC d’acquisition sont corrigées. Chaque profil de vitesse est ensuite testé par comparaison à des statistiques établies pour l’ensemble de la base, permettant de détecter des niveaux de bruit élevés ou des reflexions parasites qui produisent des pics anormaux de vitesse ; les profils suspects sont inspectés visuellement et corrigés ou supprimés si nécessaire. L’incertitude sur l’orientation du transducteur introduit des erreurs systématiques dans l’estimation des vitesses : celles ci peuvent être corrigées par plusieurs opération d’étalonnage, détaillées ci-après. Les profils de vitesse relative ainsi validés, il faut intégrer les données de navigation pour obtenir des vitesses absolues : ceci passe par le calcul préalable de la vitesse absolue d’une couche de référence (Kosro, 1985 ; Wilson et Leetmaa, 1988), après lissage des positions. Pour l’exploitation finale des données, la vitesse sur le fond du navire ainsi recalculée est ajoutée aux profils de courants relatifs, afin d’obtenir les profils absolus. Le logiciel CODAS3 dispose de plusieurs programmes qui fournissent des fichiers de profils, après sélections dans l’espace-temps et/ou interpolations sur des grilles.

Application du traitement

Validation des profils relatifs

Pour chaque partie de la traversée, Atlantique, ALIZE 2 Leg 1 et Leg 2, sont calculés des profils statistiques : la variance de la vitesse verticale est un indicateur du niveau de bruit dans les mesures, et celle des dérivées secondes des trois composantes de vitesses permet de détecter les courbures anormales des profils dues à des réflexions parasites. Les profils dont la valeur de ces variables s’ecarte de plus de 3 écarts-types des statistiques sont signalés. Sur 19200 profils enregistrés, 600 seront ainsi detectés et verifiés visuellement, et 250 supprimés entièrement ou en partie (1,3%) ; la principale cause de correction est un niveau de bruit élevé en profondeur lorsqu’on se rapproche de la limite du PGOOD. La Figure 6 fournit un exemple de visualisation des profils.

Qualité des profils

Les résultats des calculs statistiques sur la base de données qui fournissent aussi des indications intéressantes sur la qualité globale des données obtenues sont présentés Figure 7 pour les trois parties de la traversée :

Moyennes et écart-types de l’AGC et du PGOOD (Figures 7a et 7b) ) permettent de mesurer la qualité du signal acoustique. L’intensité (AGC) décroit régulièrement depuis le premier bin jusqu’à une profondeur d’environ 250m, où le niveau de bruit est atteint ; elle ne dépend pratiquement pas de la vitesse du navire. L’intensité dans le premier bin est de l’ordre de 150 à 160 dB, ce qui est de 10 à 15 dB infèrieur aux valeurs atteintes pour d’autres installations (D. Symonds, communication personnelle). Ceci s’explique vraisemblablement par l’atténuation du signal due à la présence de la fenêtre acoustique. En conséquence, le seuil des 30% de PGOOD est atteint à une profondeur de l’ordre de 250m pour les 3 parties de la traversée, avec un maximum à 270m durant la première partie d’ALIZE 2, navire en route. Ce maximum dans le Pacifique Est correspond aux eaux les plus biologiquement riches de la traversée, ce qui contribue à une intensité plus élevée des échos. Une modification de la matière et de l’épaisseur de la fenêtre devrait permettre d’améliorer cette portée d’une centaine de mètres. A profondeur donnée, le PGOOD est en général plus élevé en route qu’en station. L’explication la plus probable est que le niveau de bruit et les vibrations du navire sont plus importants en station qu’en route, et perturbent donc plus le signal. Dans l’Atlantique, le PGOOD moyen n’atteint pas 100%, même près de la surface, à cause des conditions de mer rencontrées (force 5-6 pendant 3 jours après les Açores) : les mouvements brutaux de tangage introduisent sous la coque des rideaux de bulles qui détèriorent le signal.

Au dessous des premiers bins, la vitesse verticale W (Figure 7c) très faible en station, devient pratiquement constante, entre 16 et 19 cms-1 en route. Ceci indique une inclinaison vers l’avant de l’axe "vertical" du transducteur, le long duquel est alors projetée une composante de la vitesse horizontale du bateau. Cette composante est proportionelle au sinus de l’inclinaison. Pour une vitesse moyenne de 5 ms-1 (10 noeuds), ceci donne une inclinaison moyenne de +2° (proue plus haute que la poupe) ; cette faible valeur n’introduit qu’une erreur du deuxième ordre sur les composantes horizontales de vitesse. Les plus faibles valeurs de W trouvées systématiquement dans les premiers bins peuvent être liées à la circulation de l’eau autour de la coque, mais aucune explication précise n’a pu être avancée pour l’instant. L’écart-type de W croit avec la profondeur, ce qui correspond plutôt à la décroissance du rapport signal/bruit qu’à une réalité physique.

L’ "erreur de vitesse" EV, Figure 7d, dont l’écart-type est toujours infèrieur à 4 cms-1 indique une bonne homogénéité des mesures. Sa valeur moyenne non nulle peut provenir d’une lègére asymétrie dans le positionnement des 4 têtes émettrices, ou dans le traitement du signal sur chaque voie. Alors que le montage du transducteur n’a pas été modifié, EV moyen passe de +2 à -1 cms-1 entre l’Atlantique et le Pacifique, seule la longueur de pulse ayant changé ; cette remarque conduit à retenir la seconde hypothèse.

Problème du premier bin

Une erreur dans la programmation de la ROM de l’instrument utilisé, qui n’a été signalée par RDI que dans les derniers jours de la campagne a pu introduire un biais de quelques cms-1 dans les valeurs de vitesse du premier bin. Pour chaque ping à l’intèrieur d’un ensemble, le positionnement du filtre assurant la mesure de l’effet Doppler est normalement assuré par le résultat moyen des quatre premiers bins du ping précédent. A cause de cette erreur, 30% de ces bins étaient en réalité pris en compte, et dans les régions de fort cisaillement équatorial le filtre était donc centré sur une valeur trop éloignée de celle désirée, d’où introduction d’un biais d’oblicité ("skew bias"). Cela se traduit dans nos mesures par une valeur de la composante zonale du premier bin trop élevée (de 1 à 10 cms-1) le long de l’Equateur, à cause de l’influence d’un fort Sous Courant Equatorial. Un problème similaire est discuté par Chereskin et al. (1989). Leur algorithme de correction appliqué à notre cas ne semble pas permettre d’éliminer complètement ce défaut. Les données du premier bin à l’Equateur restent donc légèrement biaisées vers l’Est.

Etalonnage

Plusieurs méthodes permettent d’étalonner l’ADCP par la détermination des deux principales erreurs systématiques, l’erreur de sensibilité et l’erreur d’orientation (Kosro, 1985 ; Joyce, 1989 ; Pollard et Reed, 1989). Celle qui a été utilisée ici principalement, dite de "water tracking" est considérée comme une des plus précises. Elle repose sur la différence vectorielle des mesures de vitesses absolues d’une couche de référence juste avant et juste aprés un changement de la vitesse du navire. Si on suppose que cette couche de référence est constante, toute différence peut être attribuée à une projection du mouvement du navire sur les vitesses absolues, soit par erreur d’orientation (transducteur ou gyro), soit par erreur de sensibilité proportionelle à la vitesse du bateau. Pour la commodité du calcul, le résultat peut s’exprimer sous la forme d’une phase j et d’une amplitude A qui sont associées aux deux erreurs. Dans notre configuration, l’erreur sur la composante perpendiculaire à la quille est fonction du sinus de l’erreur d’orientation. Pour une vitesse de 5ms-1, un j de 1° cause une incertitude de 9 cms-1 sur cette composante. L’erreur de sensibilité est maximum sur l’autre composante. L’expression mathématique du calcul de A et j est développée dans Pollard et Reed (1989). Cette méthode nécessite une connaissance précise de la vitesse absolue du navire, rendue possible par la quasi-complète couverture GPS.

Une autre méthode utilise le mode "bottom tracking" en comparant les vitesses sur le fond données par l’ADCP et le GPS et fournit aussi une estimation de phase et amplitude. Des données de "bottom tracking" ont été enregistrées pendant 9 heures au départ de Panama, seul endroit où la faible bathymétrie l’autorisait.

Chaque station hydrologique de la campagne permet deux estimations par "water tracking" de A et j, à l’arrivée et au départ de la station. Les vitesses absolues du navire sont calculées sur les 3 ensembles précédant et suivant immédiatement l’arrêt ou le départ. La couche de référence est formée des bins 5 à 20 (48 à 168m). A cause de l’imprécision sur les positions GPS instantanées du bateau (donc sur sa vitesse), seules des estimations statistiques d’amplitude et phase seront significatives. Le Tableau 2 présente ces statisques pour les 2 parties de ALIZE 2, après élimination de quelques points isolés trés écartés de la moyenne. Histogrammes et séries temporelles correspondants sont présentés sur la Figure 8. La dispersion des points est importante, mais la valeur moyenne de j est remarquablement faible, indication d’un montage précis du transducteur. On n’observe pas d’évolution dans le temps de A ou j, qui pourraient être causées par un viellissement de l’électronique de l’ADCP ou une dérive du gyrocompas du bateau. On peut donc supposer que les valeurs obtenues sont aussi valables pour les mesures effectuées dans l’Atlantique, où l’absence de station n’a pas permis d’étalonnage.

Le "bottom tracking" fournit une estimation légèrement différente, avec A = 1.007 et j = -0.1°, moyennes sur 100 estimations, avec une dispersion encore plus importante. D’autre part, la longueur de pulse utilisée dans ce cas étant différente, la comparaison des 2 valeurs de A est difficile. On choisit donc de ne conserver que les résultats du "water tracking", où l’étalonnage est effectuéesurles mêmes mesures qui serviront au calcul des courants.

L’ensemble des profils de vitesses relatives, pour l’Atlantique et le Pacifique sont ainsi corrigés en leur appliquant un facteur multiplicatif de A = 1.003, et une rotation de j = -0.3°. A cause de la dispersion des coefficients, l’application de ces valeurs moyennes laisse subsister des sauts de quelques cms-1 aux arrivées et départs de certaines stations.

Navigation

L’étape finale du traitement consiste à obtenir des valeurs précises de la vitesse absolue du navire à partir du positionnement GPS pour chaque profil, de façon à pouvoir calculer les vitesses absolues de courants. Le fichier GPS est donc tout d’abord corrigé des positions visiblement aberrantes, détectées par des valeurs élevées de l’indicateur PDOP (Positional Dilution of Precision), fournies par le récepteur.

L’incertitude sur le positionnement introduit un bruit dans la vitesse absolue du bateau qui n’existe pas dans les mesures relatives de vitesse de chaque bin. De plus il est nécessaire d’obtenir une estimation de la vitesse du bateau lors des interruptions du positionnement. Dans ce but, l’intégration de la navigation passe par le calcul intermédiaire de la vitesse absolue d’une couche de référence (bins 5 à 20). Cette vitesse est la différence entre la vitesse du bateau sur le fond obtenue par GPS et la vitesse du bateau par rapport à cette couche donnée par l’ADCP. Cette estimation est ensuite lissée par convolution avec une fenêtre de Blackman w(t) (voir Bahr et al., 1989, 1990) de largeur T = 2 heures :

w(t) = 0.42 - 0.5 cos(2pt/T) + 0.08 cos(4pt/T)

La densité des données GPS permet d’employer une fenêtre plus étroite que les 6 où 12 heures généralement utilisées avec un positionnement TRANSIT. Une structure spatio-temporelle plus fine est ainsi conservée dans les données. La Figure 9 donne un exemple de ce calcul, avant et aprés lissage. La visualisation de ces tracés permet de repérer les mauvaises positions GPS qui n’auraient pas été signalées par un PDOP élevé, et de les corriger. La vitesse absolue lissée de la couche de référence est ensuite ajoutée à la vitesse du bateau relative à cette couche pour obtenir une estimation finale lissée de la vitesse du bateau sur le fond ; la route du bateau est recalculée par intégration, et vitesse et position lissées correspondant à chaque profil sont stockées dans la base de données.

Extraction des données

L’addition des vitesses relatives de courants à la vitesse absolue du bateau se fait au moment de l’extraction. Plusieurs utilitaires permettent de sélectionner les données dans l’espace-temps et d’obtenir des grilles, avec ou sans interpolations, produit final pour l’exploitation scientifique des profils.

Coupes de courants

Pour chaque partie de la traversée de l’Atlantique et de la campagne ALIZE 2 données au Tableau 1, les composantes zonale (U) et méridienne (V) des courants sont extraites de la base et moyennées sur des points de grille espacés de 0.25 degré dans le plan horizontal et 10m en profondeur. Les isolignes sont tracées tous les 10 cms-1 et les valeurs négatives (U vers l’ouest et V vers le sud) sont ombrées.

Les données de l’Atlantique sont projetées sur les longitudes pour mettre mieux en évidence celles provenant de la Mer des Caraïbes, où les courants sont les plus forts.

Pour le Pacifique, les coupes sont présentées en succession chronologique pour chaque leg, à l’exception des coupes zonales le long de l’Equateur. Une figure suppléméntaire rassemble les deux sections équatoriales, avec données moyennées tous les degrés, pour mettre en évidence la continuité du Sous Courant Equatorial. Les sections zonales sont projetées sur les longitudes, et les sections méridiennes ou obliques sur les latitudes. Les échelles horizontales ne sont pas constantes sur toutes les sections, en particulier pour faire ressortir le détail de la structure méridienne des courants équatoriaux.

Références

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Busalacchi A. J. et J. J. O’Brien, 1981 : Interannual variability of the equatorial Pacific in the 1960’s. J. Geophys. Res., 86-C, 10901-10907.

Cane M. A., S. E. Zebiak et S. C. Dolan, 1987 : Experimental forecasts of El-Niño. Nature, 321, 827-832.

Chereskin T. K., E. Firing et J. A. Gast, 1989 : Identifying and screening filter skew and noise bias in acoustic Doppler current profiler measurements. J. Atmos. Oceanic Technol., 6, 1040-1054.

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